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ÇUNACÉPA.

Sur la ronce et l’épine, à travers le bois sombre,
Nul regard ennemi ne vous suivra dans l’ombre.
Hâtons-nous. La nuit vaste enveloppe les cieux.
Je connais les sentiers étroits, mystérieux,
Qui conduisent du fleuve aux montagnes prochaines.
Les grands tigres rayés y rôdent par centaines ;
Mais le tigre vaut mieux que l’homme au cœur de fer !
Viens ! Fuyons sans tarder, si mon amour t’est cher. —

Çunacépa, pensif, et se baissant vers elle,
La regardait. Jamais il ne la vit si belle.
Avec ses longs yeux noirs de pleurs étincelants,
Et ses bras de lotus enlacés et tremblants,
Ses lèvres de corail, et flottant sur sa joue
Ses longs cheveux épars que la douleur dénoue.

— Les dieux savent pourtant si je t’aime, ô Çanta !
Mais que dirait le Roi, fils de Daçaratha ?
Qu’un Brahmane a volé cent mille belles vaches,
Et qu’il a pour enfants des menteurs et des lâches ?
Non, non ! mieux vaut mourir. J’ai promis, je tiendrai.
Le vieux Radjah m’attend ; encore un jour, j’irai,
Et le sang jaillira par flots purs de mes veines !
Taris tes pleurs, enfant ; cessons nos plaintes vaines ;
Aimons-nous ! L’heure vole et ne revient jamais !
Et, quand mes yeux éteints seront clos désormais,
Ô fleur de mon printemps, sois toujours adorée !
Parfume encor la terre où je t’ai respirée !