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POÈMES TRAGIQUES.


Donc, très tard, dans cent ans, sonne l’heure suprême !
Il aura fait sur terre un premier paradis ;
Puis il trépassera, le front oint du Saint-Chrême.

D’ailleurs, combien d’élus qui se pensaient maudits ?
En avant ! En avant ! Haut l’épée et la lance !
Foin du diable ! Après tout, le monde est aux hardis.

Il va. Le bon cheval, encor plein de vaillance,
Sous l’homme qu’un réseau de fer vêt tout entier,
Enfonce au sol mouvant qui flamboie en silence.

Pas à pas, et sans halte, il creuse son sentier
Et hume, en secouant le chanfrein et la bride,
La fontaine qui filtre à l’ombre du dattier.

En un pli du désert qu’aucun souffle ne ride,
Elle attire de loin les bêtes dont le flair
Sent germer sa fraîcheur dans la plaine torride.

Sous l’implacable ciel qui brûle, où manque l’air,
Cavalier défaillant, pèlerin qui halète
Se reprennent à vivre en buvant ce flot clair.

Aussi, sans que l’aiguë et massive molette
Le morde aux flancs, le bon cheval hennit vers l’eau
Où le dattier rugueux se penche et se reflète.

L’ardeur de son désir lui gonfle le naseau
Et fait neiger, au bord de la barde imbriquée,
Les flocons de sueur qui moussent sur sa peau.