Page:Leconte de Lisle - Œuvres, Poèmes tragiques.djvu/161

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
147
LE CALUMET DU SACHEM.


Ses guerriers dispersés errent dans les prairies,
Par delà le grand Fleuve où boivent les bisons.
Loin du pays natal aux riches floraisons,
Comme le vent d’hiver fait des feuilles flétries,
L’exil les a chassés vers tous les horizons.

Devant l’homme à peau blême et son lâche tonnerre
Ils vont où le soleil tombe sanglant des cieux ;
Mais le Sachem têtu, seul des siens, et très vieux,
Tel que l’aigle attardé qui retourne à son aire,
Est revenu mourir au berceau des aïeux.

Des confins du couchant et des espaces mornes
Il a su retrouver, avec l’œil et le flair,
Sans halte, par la nuit profonde ou le ciel clair,
Les vestiges épars dans les plaines sans bornes
Et recueillir au vol les effluves de l’air.

Sa hache et son couteau, les armes du vrai brave,
Gisent sur ses genoux. Le Chef a dénoué
Sa ceinture, et, dressant son torse tatoué
D’ocre et de vermillon, il fume d’un air grave
Sans qu’un pli de sa face austère ait remué.

Il sait qu’au lourd silence épandu des ramées
Les sinistres rumeurs des nuits succéderont,
Qu’à l’odeur de sa chair, bossuant leur dos rond,
Vont ramper jusqu’à lui les bêtes affamées ;
Mais le vieux Chef se rit des dents qui le mordront.