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POÈMES TRAGIQUES.


Or, Don Pedro s’avance au balcon, et d’en haut
S’écrie : — À la male heure êtes venu vous mettre
Entre mes mains, Bâtard ! Lopez, tuez le Maître ! —
L’autre lève sa masse et frappe comme il faut.

Fadrique, chancelant, veut dégainer sa lame ;
Mais la masse de fer est brandie à nouveau,
Retombe, rompt la nuque, écrase le cerveau,
Et le sang noir écume et fait ruisseler l’âme.

— Lopez ! Coupez la tête, et laissez le tout là,
Dit Don Pedro. Justice est faite, et félonie
De ce Bâtard, du moins, bien et dûment punie. —
Puis le Roi va dîner avec la Padilla.

La salle est haute, étroite et fraîche, à demi close
De gaze diaphane et d’un treillis léger ;
Et, de l’aurore au soir, la fleur de l’oranger
Y mêle son arôme à celui de la rose.

La terrasse mauresque, aux trèfles ajourés,
Domine les jasmins et les caroubiers sombres
Qui jettent, çà et là, de lumineuses ombres
Où palpitent des vols de papillons pourprés.

Le bon Roi de Castille et la femme qu’il aime
Dînent là, tous deux, gais, amoureux, sans souci.
Un hurlement lugubre éclate. Qu’est ceci ?
Le page qui leur verse à boire en devient blême.