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POÈMES TRAGIQUES.


L’un foudroyé, croulé du plus haut de ses rêves,
L’autre en un rire amer faisant luire ses dents,
Comme le double éclair qui jaillit de deux glaives,
Ils échangent leur haine avec des yeux ardents.

Or, feignant par mépris de méconnaître l’homme,
Soulymân dit : — Quel est cet esclave, ô Hadjeb ?
Qu’a-t-il fait ? — C’est un traître, ô Khalyfe ! Il se nomme
Mouça-ben-Noçayr, l’Ouali du Maghreb.

Non content d’opprimer l’Afrique et de soumettre
À son joug usurpé les Émyrs, ses égaux,
Sans attendre ton ordre et ton signal, ô Maître,
Il a passé la mer et combattu les Goths.

Pareil au noir vautour qui rôde à grands coups d’aile,
Il s’est gorgé du sang, de la chair et de l’or
Du Chrétien idolâtre et du Juif infidèle,
Volant ainsi ton bien et pillant ton trésor.

Il a voulu, rompant l’unité de l’Empire,
Ivre d’orgueil, d’envie et de rapacité,
En haine de Celui par qui l’Islam respire,
Séparer l’Orient du Couchant révolté.

Oubliant qu’il n’était qu’une impure poussière
Qu’un souffle de ta bouche emporte en tourbillons,
Il a rêvé d’enfler sa fortune grossière
Jusqu’au faîte sublime où nous te contemplons.