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POÈMES TRAGIQUES.


Ah ! vrais fils d’Al-Borak la Vierge et de l’éclair,
Sûrs amis, compagnons des batailles épiques,
Joyeux du bruit des coups et des cris frénétiques,
Vous, hennissiez, cabrés à la pointe des piques,
Vous enfonçant la mort au ventre, ô buveurs d’air !

Vous mordiez les tridents, les fourches et les sabres
Et l’épieu des chasseurs de loup, d’ours et d’isard,
Muraille rude et sombre où flottaient au hasard
Les Lions de Castille et le jaune Lézard
De Compostelle et les Mains rouges des Cantabres.

Vous qui couriez, si beaux ; des jardins de l’Été
Jusqu’aux escarpements neigeux des Asturies,
Vous dormez dans l’horreur des muettes tueries,
Et, tels qu’au chaud soleil les grenades mûries,
Sous les masses de fer vos fronts ont éclaté !

Rien n’a rompu le bloc de ces hordes farouches.
Vers les monts, sans tourner le dos, lents, résolus,
Ils se sont repliés, rois, barons chevelus,
Soudards bardés de cuir, serfs et moines velus
Qui vomissent l’infect blasphème à pleines bouches.

Sinistres, non domptés, sinon victorieux,
Ils ont tous disparu dans la nuit solitaire,
Laissant les morts brûler et les râles se taire ;
Et nous pleurons autour de cette tente austère
Où l’Aigle de l’Islam ferme à jamais les yeux.