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la rivière des songes

qu’il contient impressionnaient le plus vivement tous les esprits. Mais, sans altérer entièrement la vérité, devons-nous la modifier pour le plus grand intérêt de nos lecteurs ? Voilà la question. D’une part, notre péripétie est fort dramatique, mais, qui plus est, mélodramatique, expression qui n’entraîne avec elle aucune idée musicale. À vrai dire, c’est un horrible massacre ; mais qui sait jusqu’à quel point peut se porter la rage d’un cousin jaloux ? Personne ne pourra jamais le dire. En voici néanmoins un léger aperçu :

L’appétit joyeux de M. Polwis tirait péniblement à sa fin, et les deux amants s’adressaient déjà quelques-unes de ces bienheureuses paroles de familiarité première qui font de la terre un ciel, quand la face pâle de John Wood parut tout à coup à l’entrée du bois. Nul ne le vit. Il se dirigea avec précaution vers le pavillon qu’il habitait et en sortit bientôt. Arrivé à quelques pas de la table autour de laquelle déjeunaient nos trois amis, il leva un pistolet et dit

— Georges Adams, vous êtes un lâche et vous mourrez comme un chien !

Le coup partit et Adams tomba en arrière sans pousser un soupir. La balle lui avait passé au travers du cœur. Avant que le bruit se fût éteint, une seconde explosion eut lieu. John Wood s’était brûlé la cervelle. Édith tomba inanimée, aux côtés de son amant, tandis que M. Polwis restait l’oeil