Page:Leconte de Lisle - Derniers Poèmes, 1895.djvu/19

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Alors le Compagnon vigilant de ses rêves
Lui dit : — Reste, insensé ! Tu plongerais en vain
Au céleste océan qui n’a ni fond ni grèves.
C’est dans ton propre cœur qu’est le Charnier divin.

Là sont tous les Dieux morts, anciens songes de l’Homme,
Qu’il a conçus, créés, adorés et maudits,
Évoqués tour à tour par ta voix qui les nomme,
Avec leurs vieux enfers et leurs vieux paradis.

Contemple-les au fond de ce cœur qui s’ignore,
Chaud de mille désirs, glacé par mille hivers,
Où dans l’ombre éternelle et l’éternelle aurore
Fermente, éclate et meurt l’illusoire univers.

Regarde-les passer, ces spectrales Images
De peur, d’espoir, de haine et de mystique amour,
À qui n’importent plus ta foi ni tes hommages,
Mais qui te hanteront jusques au dernier jour. —

Et l’Hôte intérieur qui parlait de la sorte,
Au gouffre ouvert de l’âme et des temps révolus
Évoqua lentement, dans leur majesté morte,
Les apparitions des Dieux qui ne sont plus.

Et l’Homme se souvint des jours de sa jeunesse,
Des heures de sa joie et des tourments soufferts,
Saisi d’horreur, tremblant que le passé renaisse
Et, forçat libre enfin, pleurant ses premiers fers.