Page:Leconte de Lisle - Derniers Poèmes, 1895.djvu/238

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possible, la destinée inévitable de tous ceux qui refuseront d’annihiler leur nature au profit de je ne sais quelle alliance monstrueuse de la poésie et de l’industrie, c’est par suite de la répulsion naturelle que nous éprouvons pour ce qui nous tue, que je hais mon temps. Haine inoffensive, malheureusement, et qui n’attriste que moi. S’il arrive donc que nous ne devions plus rien produire qui soit dû à nos propres efforts, sachons garder le souvenir des œuvres vénérables qui nous ont initiés à la poésie, et puisons dans la certitude même de leur inaccessible beauté la consolation de les comprendre et de les admirer. Le reproche qui m’a été adressé de préférer les morts aux vivants est on ne peut plus motivé, et j’y réponds, par l’aveu le plus explicite. Quant à la seconde objection, elle n’est pas précisément aussi fondée.

En général, tout ce qui constitue l’art, la morale, et la science était mort avec le Polythéisme. Tout a revécu à sa renaissance. C’est alors seulement que l’idée de la beauté reparaît dans l’intelligence et l’idée du droit dans l’ordre politique. En même temps que l’Aphrodite Anadyomène du Corrège sort pour la seconde fois de la mer, le sentiment de la dignité humaine, véritable base de la morale antique, entre en lutte contre le principe hiératique et féodal. Il tente, après trois cents ans d’efforts, de réaliser l’idéal platonicien, et l’esclavage va disparaître enfin de la terre.

Ce n’est pas que je veuille insister ici sur la valeur morale du Polythéisme dans l’ordre social et religieux. L’étude de cette théogonie, l’examen des faits historiques et des institutions, l’analyse sérieuse des mœurs,