Page:Leconte de Lisle - Derniers Poèmes, 1895.djvu/251

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maître de sa langue et de son instrument. Il voit du premier coup d’œil plus loin, plus haut, plus profondément que tous, parce qu’il contemple l’idéal à travers la beauté visible, et qu’il le concentre et l’enchâsse dans l’expression propre, précise, unique.

Il porte à la majesté de l’art un respect trop pur pour s’inquiéter du silence ou des clameurs du vulgaire et pour mettre la langue sacrée au service des conceptions viles. Le clairon de l’archange ne se laisse pas emboucher comme une trompette de carrefour.

J’étudierai dans cet esprit l’œuvre des poètes contemporains. Je demanderai avant tout à chacun d’eux ses titres d’artiste, certain de rencontrer un penseur et une haute nature morale, mais non comme l’entend la plèbe intellectuelle, là où j’admirerai la puissance, la passion, la grâce, la fantaisie, le sentiment de la nature et la compréhension métaphysique et historique, le tout réalisé par une facture parfaite, sans laquelle il n’y a rien.

Un écueil très périlleux me menace, je le sais, dans le cours de ces études. Il est à craindre qu’un poète ne puisse juger un autre poète avec une équité constante. Ma conscience me rassure. Les manifestations diverses du Beau sont en nombre infini. Je sais admirer, et, si peu que je sois, j’ai trop d’orgueil pour être injuste.


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