Page:Leconte de Lisle - Derniers Poèmes, 1895.djvu/283

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dans la liberté, il n’a forcément ni colère, ni fanatisme, ni amertume profonde. Ce don terrible de la raillerie ne lui a point été accordé. Juvénal était moins raisonnable.

Il n’est donc pas impossible de démêler, dans l’œuvre générale du poète, sous la violence et la crudité des termes, un esprit timide et un caractère indécis. Les Odelettes et les Sylves indiquent peut-être moins une décadence qu’un retour au vrai tempérament de l’auteur. Au fond, et en réalité, c’est un homme de concorde et de paix, revêtu de la Peau de Némée. Il est vrai que les poils du lion l’enveloppent souvent de telle sorte qu’on s’y trompe. Mais l’iniquité serait grande de juger Auguste Barbier sur ses dernières poésies. Certes, les Iambes et surtout Il Pianto renferment d’admirables choses. Il y a là une éruption de jeunesse pleine parfois d’énergie et d’éclat, bien que de trop fréquentes défaillances en rompent le jet vigoureux. Que de vers superbes, spacieux, animés d’un mâle sentiment de nature et se ruant à l’assaut des hautes périodes ! Mais aussi que de vers asthmatiques, blêmes, épuisés, n’en pouvant plus !

On a particulièrement loué Barbier, et c’était inévitable, de cette spontanéité inconstante et de ce détachement naïf de toute préoccupation d’art qui caractérisent, prétend-on, les poètes sincères. Point de système, point de métier, une pure éloquence naturelle ; des rimes imparfaites, des négligences, des incorrections, rien du versificateur. Je doute que l’auteur de ce vers magnifique sur Gœthe :

Artiste au front paisible avec des mains en feu,

soit très flatté de ces louanges ineptes. Mais ici, comme