Page:Leconte de Lisle - Derniers Poèmes, 1895.djvu/304

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dans le désert, le Prophète inexorable qui fait égorger en un jour vingt-quatre mille hommes par la tribu de Lévi. Le poème de Moïse n’est qu’une étude de l’âme dans une situation donnée, n’appartient à aucune époque nettement définie et ne met en lumière aucun caractère individuel original. Mais, si la Légende des siècles, bien supérieure comme conception et comme exécution, est plutôt, çà et là, l’écho superbe de sentiments modernes attribués aux hommes des époques passées qu’une résurrection historique ou légendaire, il faut reconnaître que la foi déiste et spiritualiste de Victor Hugo, son attachement exclusif à certaines traditions, lui interdisaient d’accorder Une part égale aux diverses conceptions religieuses dont l’humanité a vécu, et qui, toutes, ont été vraies à leur heure, puisqu’elles étaient les formes idéales de ses rêves et de ses espérances. « L’homme, a dit un illustre écrivain, fait la sainteté de ce qu’il croit comme la beauté de ce qu’il aime. » Quoi qu’il en soit, la Légende des siècles, cette série de magnifiques compositions épiques, restera la preuve éclatante d’une puissance verbale inouïe mise au service d’une imagination incomparable.

Les Chansons des rues et des bois, l’Année terrible, les deux dernières Légendes, l’Art d’être grand-père, le Pape, la Pitié suprême, Religion et religions, l’Âne, Torquemada, les Quatre Vents de l’Esprit se succédèrent à de courts intervalles. Il est assurément impossible, Messieurs, d’analyser et de louer ici comme il conviendrait, ces œuvres multipliées où l’intarissable génie du Poète se déploie avec la même force démesurée. Torquemada, cependant, moins un drame scénique qu’un poème dialogué, offre