Page:Leconte de Lisle - Derniers Poèmes, 1895.djvu/306

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de singulières objections. L’éclat du style et l’éloquence lyrique des personnages semblaient aux adversaires du Poète l’unique mérite et à la fois le défaut fondamental de ces œuvres si pleines pourtant de situations dramatiques. Le reproche de sacrifier l’étude des caractères et la vérité historique aux fantaisies de l’imagination, est-il donc juste ? N’a-t-il pas été toujours permis aux poètes tragiques d’emprunter à l’histoire de larges cadres où leur inspiration personnelle pût se déployer librement ? la foule enthousiaste qui se presse aujourd’hui aux représentations de ces beaux drames n’est-elle ni émue ni charmée ? Et quant à leur substance même, ne consiste-t-elle pas, selon la remarque d’un éminent critique, dans le développement scénique de tous les nobles motifs qui déterminent l’action : l’honneur, l’héroïsme, le dévouement, la loyauté chevaleresque ? En outre, si Victor Hugo, ayant toujours voulu que son théâtre fût une tribune, une sorte de chaire d’où l’enseignement moral pût être donné au plus grand nombre, semblait méconnaître ainsi la nature essentielle de l’art qui est son propre but à lui-même, du moins n’a-t-il jamais oublié que si le juste et le vrai ont droit de cité en poésie, ils ne doivent y être perçus et sentis qu’à travers le beau.

Les Burgraves, dont l’insuccès fit prendre au grand Poète la résolution de renoncer pour toujours au théâtre, sont d’un tout autre ordre, et d’un ordre supérieur. Nous sommes ici en face d’une trilogie Eschylienne, d’une tragédie épique dont les principaux personnages sont plus grands que nature et se meuvent dans un monde titanique. Jamais Victor Hugo n’avait fait entendre sur la