Page:Leconte de Lisle - Derniers Poèmes, 1895.djvu/47

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Celle-ci, voyant fuir le doux sol d’Héllénie,
Se lamentait, tremblante : — Où vas-tu, cher Taureau ?
Pourquoi m’emportes-tu sur la houle infinie,
Cruel ! toi qui semblais si docile et si beau ?

Vois ! La mer est stérile et n’a point de prairies
Ni d’herbage odorant qui te puisse nourrir.
Hélas ! J’entends gémir mes compagnes chéries…
Reviens ! Ne suis-je pas trop jeune pour mourir ? —

Mais lui nageait toujours vers l’horizon sans bornes,
Refoulant du poitrail le poids des grandes Eaux
Sur qui resplendissait la pointe de ses cornes
À travers le brouillard qu’exhalaient ses naseaux.

Et quand la terre, au loin, se fut toute perdue,
Quand le silencieux espace Ouranien
Rayonna, seul, ardent, sur la glauque étendue,
Le divin Taureau dit : — Ô Vierge, ne crains rien.

Je suis le Roi des Dieux, le Kronide lui-même,
Descendu de l’immense Éther à tes genoux !
Réjouis-toi plutôt, ô Fleur d’Hellas que j’aime,
D’être immortelle au bras de l’immortel Époux !

Viens ! Voici l’Île sainte aux antres prophétiques
Où tu célébreras ton hymen glorieux,
Et de toi sortiront des Enfants héroïques
Qui régiront la terre et deviendront des Dieux ! —