Page:Leconte de Lisle - Derniers Poèmes, 1895.djvu/51

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Et, dans l’effroi des jours, l’épouvante des nuits,
Les biens que nous goûtions se sont évanouis,
Quand l’Antéchrist Papal, hors du sombre repaire,
Eut déchaîné ce loup sur notre sol prospère.
Il est venu, hurlant de soif, les yeux ardents,
La malédiction avec la bave aux dents,
Et poussant, comme chiens aboyeurs sur les pistes,
L’assaut des mendiants et des voleurs papistes
À qui tous les forfaits sont gestes familiers :
Princes bâtards, barons sans terre et chevaliers,
Pillards, chassés du Nord pour actions perverses,
Et routiers vagabonds d’origines diverses.
Et tous se sont rués en affamés sur nous !
Et ce boucher tondu, le sang jusqu’aux genoux,
Pourvoyeur de la tombe et monstrueux apôtre,
Le goupil d’une main et la torche de l’autre,
Sans merci ni relâche, en son furieux vol,
A promené massacre, incendie et viol !
Frères, souvenez-vous ! Nos villes enflammées
Vomissent au ciel bleu cris, cendres et fumées ;
Nos mères, nos vieillards, nos femmes, nos enfants,
Par milliers, consumés dans les murs étouffants,
Pendus, mis en quartiers, enfouis vifs sous terre,
Font du pays natal un charnier solitaire
D’où les corbeaux repus s’envolent, et qui dort
Dans l’horreur du supplice et l’horreur de la mort,
Mais qui gémit vers Dieu plus haut que le tonnerre !
Or, voici l’égorgeur et le tortionnaire.
La Justice tardive en nos mains l’a jeté.
Parle donc, Moine, au seuil de ton éternité !