Page:Leconte de Lisle - Derniers Poèmes, 1895.djvu/57

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Ne nous as-tu pas dit, Martyr expiatoire :
Allez, dispersez-vous parmi les nations ;
Liez et déliez, et forcez-les de croire,
Et paissez le troupeau des générations ?

Les âmes, te sachant trop haut et trop loin d’elles,
Erraient à tous les vents, sans guide et sans vertu.
La faute n’en est pas à nous, tes seuls fidèles.
Ce qui dut arriver, Maître, l’ignorais-tu ?

La Barque du Pêcheur, sous le fouet des tempêtes,
Et près de s’engloutir, n’espérant plus en toi ;
Et l’aveugle Hérésie, hydre au millier de têtes,
Déchirant l’Unité naissante de la Foi ;

Et sans cesse, pendant plus de trois cents années,
Le torrent débordé des peuples furieux
Se ruant, s’écroulant par masses forcenées
Du noir Septentrion d’où les chassaient leurs Dieux ?

Fallait-il donc, soumis aux promesses dernières
D’un retour triomphal toujours inaccompli,
Tendre le col au joug et le dos aux lanières,
Ramper dans notre fange et finir dans l’oubli ?

Souviens-toi de Celui qui, de son aile sombre,
T’emporta sur le Mont de l’Épreuve, et parla,
Disant : — Nazaréen ! Vois ces races sans nombre !
Si tu veux m’adorer, je te donne cela.