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dédaigne la science qui prétend expliquer les origines de la vie ; il ne lui accorde même pas le droit de le tenter, et il se rattache en ceci, plus qu’il ne se l’avoue à lui-même, aux dogmes arbitraires des religions révélées. Il croit puiser dans sa foi profonde en une puissance infinie, rémunératrice et clémente, la généreuse compassion qui l’anime pour les faibles, les déshérités, les misérables, les proscrits auxquels il offre si noblement un asile ; il lui doit, pense-t-il, de chanter en paroles sublimes la beauté, la grandeur et l’harmonie du monde visible, comme les splendeurs pacifiques de l’humanité future, et il ne veut pas reconnaître qu’il ne doit sa magnifique conception du beau qu’à son propre génie, comme ses élans de bonté et de vaste indulgence qu’à son propre cœur. Mais qu’importe ! Cette foi, faite d’éblouissements, a ouvert au grand Poète l’horizon illimité où son imagination plonge sans fin. Elle a été la génératrice et la raison de ses chefs-d’œuvre.

Que pourrais-je ajouter, Messieurs ? Dans le cours de sa longue vie, traversée pourtant d’ardentes luttes littéraires et politiques et de grandes douleurs, et surtout dans sa vieillesse vénérable, apaisée et souriante, Victor Hugo a reçu la récompense due au plus éclatant génie lyrique qu’il ait été donné aux hommes d’applaudir. Le monde civilisé tout entier lui a rendu un hommage unanime. La profonde et lugubre pensée d’Alfred de Vigny : « La vie est un accident sombre entre deux