Page:Leconte de Lisle - Discours, 1887.djvu/41

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farouche, comme aurait dit Racine, vivant dans la solitude et le travail, absolu dans ses idées, tout à son œuvre, aimant la poésie pour elle-même, pour elle seule, pauvre, fier, honorable en tous points, aussi peu soucieux de la fortune que de la renommée, lesquelles, du reste, paraissaient décidées à respecter longtemps encore son incognito. Victor Hugo n’eut qu’à se rappeler son petit logement de la rue du Dragon, en 1820, pour se figurer le vôtre au boulevard des Invalides ; il n’eut qu’à se souvenir comment s’était fondée l’école romantique, dont il s’était bientôt fait proclamer le chef, pour comprendre qu’il se fondait dans ce Paris toujours en travail, mais où il n’était plus, une école nouvelle, avec un chef nouveau.

En effet, à l’époque même où, du haut de son rocher enveloppé d’éclairs, il jetait à travers l’espace, les pages des Châtiments, des Contemplations, de la première Légende des siècles qui prenaient leur vol, aigles, corbeaux et colombes, vers les quatre parties du monde, le soir, l’étoile des mages d’Orient guidait quelques bergers recueillis, dévots et convaincus vers l’autel mystérieux que vous aviez élevé à la Muse et dont je ne crois pas qu’aucun poète avant vous ait aussi complètement connu les ardeurs sacrées, enivrantes et pures. C’est que, tout en étant né Français, c’est que tout en vivant et en respirant au milieu de nous, comme chacun peut le voir aujourd’hui, par hasard, pour ainsi dire, ce n’était pas nous qui étions, intellectuellement, vos compatriotes