Page:Leconte de Lisle - Discours, 1887.djvu/60

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ingénieuse, si elle ne nous emporte pas sur son aile, si elle ne nous éblouit pas de son rayon, ce n’est pas la peine de s’exprimer en lignes plus courtes que les autres. Ce n’est donc qu’en obéissant à de certaines lois rigides, dont le vulgaire ignore le secret tout en en subissant le charme, qu’on pourra se croire en droit de placer la poésie au-dessus de la prose, comme on accorde à la femme, dans les relations sociales, le droit de préséance sur l’homme, à cause de certains avantages extérieurs qui ne s’adressent pas toujours à la seule intelligence. Il y a, en présence d’une belle personne, une émotion de l’œil, un frisson particulier qui ne sont pas arguments irréfutables et qui ressemblent un peu à la sensation que la forme poétique cause tout d’abord par elle même. Les juges qui condamnent Socrate peuvent acquitter et même glorifier Phryné ; moins de dix ou quinze ans après, ce sera Socrate qui aura raison jusqu’à la fin des siècles. Ainsi souvent de la prose et de la poésie. Quand Pascal dit :

« Le cœur a des raisons que la raison ne connaît point »,

quand La Rochefoucauld dit :

« L’hypocrisie est un hommage que le vice rend à la vertu. »

Quand Saint-Augustin dit :

« Tout ce qui finit est court ; » je ne vois pas ce que la cadence du rythme et l’éclat de la rime pourraient ajouter à ces belles pensées, si concises, si claires, si vraies, qui se fixent à jamais dans ma mémoire comme les plus beaux vers, mais en fortifiant mon expérience et en satisfaisant ma raison. Ici la précision et la probité de la prose valent toutes les