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POÈMES BARBARES.

Les brises qui gonflaient l’aile blanche des cygnes
Suspendaient à leurs cous l’onde en colliers de feu.

Sous le magique azur aux profondeurs sublimes,
Couché dans son palais de nacre, et les yeux clos,
Le roi Dylan dormait au bercement des flots ;
Et ses fils, émergeant du creux des clairs abîmes,
Venaient rire au soleil dans l’herbe des îlots.
Et l’homme était heureux sur la face du monde ;
La voix de son bonheur berçait la paix du ciel ;
Et, d’un essor égal, dans le cercle éternel,
Les âmes, délaissant la ruche trop féconde,
Aux fleurs de l’infini puisaient un nouveau miel.

Ainsi multipliaient les races fortunées ;
Et la terre était bonne, et douce était la mort,
Car ceux qu’elle appelait la goûtaient sans remord.
Mais quand ce premier jour eut compté mille années,
Une main agita l’urne noire du sort.
Le vieux dragon Avank, travaillé par l’envie,
Aux sept têtes, aux sept becs d’aigle, aux dents de fer,
Aux yeux de braise, au souffle aussi froid que l’hiver,
Sortit de son dolmenn et contempla la vie,
Et, furieux, mordit les digues de la mer.

Cent longues nuits durant, la Bête horrible et lâche,
Oubliant le sommeil et désertant son nid,