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NURMAHAL.


Ali-Khan est parti, la guerre le réclame ;
Son trésor le plus cher en ces lieux est resté :
Mais le nom du Prophète, incrusté sur sa lame,
Garantit son retour et ta fidélité.

Car jusques au tombeau tu lui seras fidèle,
Femme ! tu l’as juré dans vos adieux derniers ;
Et, pour aiguillonner l’heure qui n’a plus d’aile,
Tu chantes Leïlah sous les tamariniers.

Tais-toi. L’âpre parfum des amoureuses fièvres
Se mêle avec ton souffle à l’air tiède du soir.
C’est un signal de mort qui tombe de tes lèvres…
Djihan-Guîr pour l’entendre est venu là s’asseoir.

Au fond du harem frais, au mol éclat des lampes,
Laisse plutôt la gaze en ses plis caressants
Enclore tes cheveux dénoués sur tes tempes,
Ouvre plutôt ton cœur aux songes innocents.

Un implacable amour plane d’en haut et gronde
Autour de toi, dans l’air fatal où tu te plais.
Ne sois pas Nurdjéham, la lumière du monde !
Sois toujours nurmahal, l’étoile du palais !

Mais va ! ta destinée au ciel même est écrite.
Les jours se sont enfuis. Sous les arbres épais
Tu ne chanteras plus ta chanson favorite ;
Djihan-Guîr sur sa tour ne reviendra jamais.