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POÈMES BARBARES.


Et l’aurore qui rit avec ses lèvres roses,
De jour en jour, en cet adorable berceau,
Pour le bonheur sans fin éveille un dieu nouveau ;
Et moi, moi, je grandis dans la splendeur des choses,
Impérissablement jeune, innocent et beau !

Compagnon des Esprits célestes, origine
De glorieux enfants créateurs à leur tour,
Je sais le mot vivant, le verbe de l’amour ;
Je parle et fais jaillir de la source divine,
Aussi bien qu’Élohim, d’autres mondes au jour !

Éden ! ô Vision éblouissante et brève,
Toi dont, avant les temps, j’étais déshérité !
Éden, Éden ! Voici que mon cœur irrité
Voit changer brusquement la forme de son rêve,
Et le glaive flamboie à l’horizon quitté.

Éden ! ô le plus cher et le plus doux des songes,
Toi vers qui j’ai poussé d’inutiles sanglots !
Loin de tes murs sacrés éternellement clos
La malédiction me balaye, et tu plonges
Comme un soleil perdu dans l’abîme des flots.

Les flancs et les pieds nus, ma mère Héva s’enfonce
Dans l’âpre solitude où se dresse la faim.
Mourante, échevelée, elle succombe enfin,
Et dans un cri d’horreur enfante sur la ronce
Ta victime, Iahvèh ! celui qui fut Qaïn.