Page:Leconte de Lisle - Poèmes barbares.djvu/294

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
284
POÈMES BARBARES.


Mais les villes baissaient les herses, dans la peur
Que la horde affamée engloutît leur réserve.
En ce siècle, — que Dieu du pareil nous préserve ! —
Les bourgeois avaient plus d’angelots que de cœur.

Les campagnes étant désertes, tout en friche,
Il fallait en finir. La Dame résolut
De délivrer les siens en faisant leur salut ;
Car en charité vraie elle était toujours riche.

Une nuit que six cents mendiants s’étaient mis
À l’abri du grand froid en une vaste grange,
Pleine de dévoûment et d’une force étrange,
Elle barricada tous ses pauvres amis.

Aux angles du réduit de sapin et de chaume,
Versant des pleurs amers, elle alluma du feu :
— J’ai fait ce que j’ai pu, je vous remets à Dieu,
Cria-t-elle, et Jésus vous ouvre son royaume ! —

Tous passèrent ainsi dans leur éternité ;
Prompte mort, d’une paix bienheureuse suivie.
Pour la Dame, en un cloître elle acheva sa vie.
Que Dieu la juge en son infaillible équité !