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LA FIN DE L’HOMME.


Il ouvrit les deux bras vers l’immense étendue
Où se leva le jour lointain de son bonheur,
Alors qu’il t’ignorait, ô fruit empoisonneur !
Et d’une voix puissante au fond des cieux perdue,
Depuis cent ans muet, il dit : — Grâce, Seigneur !

Grâce ! J’ai tant souffert, j’ai pleuré tant de larmes,
Seigneur ! J’ai tant meurtri mes pieds et mes genoux…
Élohim ! Élohim ! de moi souvenez-vous !
J’ai tant saigné de l’âme et du corps sous vos armes,
Que me voici bientôt insensible à vos coups !

Ô jardin d’Iahvèh, Éden, lieu de délices,
Où sur l’herbe divine Ève aimait à s’asseoir ;
Toi qui jetais vers elle, ô vivant encensoir,
L’arome vierge et frais de tes mille calices,
Quand le soleil nageait dans la vapeur du soir !

Beaux lions qui dormiez, innocents, sous les palmes,
Aigles et passereaux qui jouiez dans les bois,
Fleuves sacrés, et vous, Anges aux douces voix,
Qui descendiez vers nous, à travers les cieux calmes,
Salut ! Je vous salue une dernière fois !

Salut, ô noirs rochers, cavernes où sommeille
Dans l’immobile nuit tout ce qui me fut cher...
Hébron ! muet témoin de mon exil amer,
Lieu sinistre où, veillant l’inexprimable veille,
La femme a pleuré mort le meilleur de sa chair !