Page:Lectures romanesques, No 141, 1907.djvu/18

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elle luttait avec une effroyable énergie, avec une suprême dépense de toutes ses forces pour garder un masque impassible, pour ne pas crier, pour ne pas s’évanouir, pour ne pas provoquer un soupçon.

Mais Catherine, en cet instant, l’avait profondément étudiée… devinée peut-être…

Car elle se leva et marcha sur l’espionne.

Alice la vit venir comme l’oiseau fasciné peut voir venir le reptile qui va le dévorer…

La reine la prit par la main. Elle serra furieusement cette main et d’une voix rauque à force de vouloir demeurer calme :

— Tu connais cet homme ? dit-elle.

Un instant, elle eut l’idée de tomber aux pieds de la reine. Elle se retint, et répondit :

— Non !…

Il lui eût été impossible de prononcer une autre parole.

— Et moi, je dis que tu le connais ! dit la reine dans un grognement terrible.

Farouche, obstinée, éperdue, cherchant en vain à rassembler une idée, elle ne trouva à répondre que son mot qu’elle jeta dans un spasme :

— Non !…

Catherine demeura une minute penchée sur l’espionne, ses yeux dans ses yeux, la fouillant jusqu’au fond de la conscience.

L’instant fut tragique.

Ces deux têtes, l’une admirable de beauté, mais décomposée par l’angoisse, l’autre violente, sinistre, avec des yeux fulgurants, ces deux têtes qui se touchaient presque, donnaient l’impression exacte du drame que créait le choc de ces deux consciences.

Sous le regard de Catherine, Alice, vacillante, se ployait en arrière, comme pour fuir une effroyable vision.

La lutte fut terrible et courte.

Alice se renversa, tomba, pantelante, sans que la fascinatrice l’eût touchée.

Catherine mit un genou à terre.

Et sa voix rauque, éraillée, jaillit non comme une question, mais comme une affirmation définitive :

— Tu l’aimes !…

L’espionne rassembla toute son énergie et eut comme la force de murmurer :

— Je ne le connais pas !…

Puis elle s’évanouit.

Catherine tira de son aumônière un flacon de cristal qu’elle déboucha avec précaution. Elle le fit respirer à la jeune fille. L’effet fut immédiat. Une secousse violente galvanisa Alice. Elle ouvrit les yeux. Son visage se couvrit d’une abondante sueur.

— Debout ! gronda la reine.

Alice de Lux obéit. Tandis qu’elle se relevait, Catherine reprenait sa place dans son fauteuil.

En même temps, son visage, prodigieusement habile à prendre toutes les expressions, redevenait paisible et serein. Ses yeux s’adoucirent, non degrés, mais en un instant. Un sourire erra sur ses lèvres. Et sa voix se fit caressante :

— Que vous arrive-t-il donc, mon enfant ? Êtes-vous à ce point fatiguée ? Ou bien, auriez-vous perdu dans ce dernier voyage ces belles qualités d’énergie et de force morale que j’admirais en vous ? Voyons, parlez-moi sans crainte… dites-moi toute votre pensée… vous savez bien, au fond, que je vous aime assez pour subir un peu vos caprices…

Elle eut un haussement d’épaules tout affectueux. Elle était d’une admirable bonhomie.

Alice de Lux demeura un instant suspendue entre deux abîmes : la terreur d’une supercherie possible, l’espoir que la reine, par affection, par caprice, par politique peut-être, la ménagerait.

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Les juges d’instructions et les gens de police, lorsqu’ils veulent arracher à leur prisonnier l’aveu qui l’enverra au bagne ou à l’échafaud, se livrent à une effroyable besogne qui est une honte pour l’esprit humain. Quels que soient les droits qu’une société a de se défendre, il est de ces sinistres moyens qui font, lorsqu’on y réfléchit, qu’on se prend à rougir d’appartenir à la même espèce animale que le juge d’instruction ou le policier.

Coupable ou innocent, le prévenu est soumis à une torture morale exactement comparable aux tortures physiques de l’Inquisition ; et cela est d’une vérité malheureusement incontestable, puisqu’on a vu des innocents avouer tout ce qu’on voulait, afin d’échapper à cette torture.

Ce hideux travail du juge d’instruction ou du policier consiste à faire passer le prévenu, en un laps de temps aussi bref que possible, par des états d’âme aussi antithétiques et aussi violemment opposés que possible. Tel serait, par exemple, le bourgeois aisé, de fortune moyenne, à qui on apprendrait dans le même instant qu’il vient d’hériter de dix millions, puis après la joie puissante, que non seulement