Page:Lectures romanesques, No 142, 1907.djvu/19

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de l’époque, saisit la main royale du bout de ses doigts et s’inclina sur elle avec une grâce altière qui provoqua l’admiration du personnage placé à côté du roi.

C’était un tout jeune homme aussi, paraissant à peine dix-neuf ans, mais il y avait dans sa physionomie et ses attitudes, on ne sait quoi de chevaleresque et d’imposant qui manquait au Béarnais.

C’était Henri Ier de Bourbon, prince de Condé, cousin d’Henri de Navarre.

Le prince de Condé tendit, lui aussi, la main à Pardaillan ; mais au moment où celui-ci s’inclina, il l’attira à lui et l’embrassa cordialement en disant :

— Chevalier, Sa Majesté la reine nous a dit que vous étiez un vrai paladin des vieux âges ; faisons donc comme faisaient les paladins quand ils se rencontraient, et embrassons-nous… le roi de Navarre, mon cousin, le permet…

— Monseigneur, dit Pardaillan, qui reconnut à ces derniers mots le jeune prince de Condé, je puis aujourd’hui accepter ce titre de paladin, puisqu’il m’est donné par le digne fils de Louis de Bourbon, c’est-à-dire d’un vaillant preux, le plus vaillant parmi ceux qui sont tombés sur les champs de bataille.

— Bien dit, veïntre-seïnt-gris ! s’écria le Béarnais.

Le jeune prince, doucement ému par cet éloge qu’avec un tact et un à-propos charmants, le chevalier donnait à son père mort, au lieu d’essayer de le flatter lui-même, répondit :

— Vous êtes aussi spirituel que brave, monsieur, et j’aurai grand plaisir à vous entretenir.

Le dernier personnage, qui n’avait encore rien dit, félicita à son tour le chevalier, en disant :

— Si l’amitié du vieux d’Andelot peut vous être agréable, elle vous est acquise, jeune homme…

— Le colonel d’Andelot, répondit Pardaillan, se trompe sans doute en m’offrant son amitié ; il a voulu dire son exemple et ses leçons ; et jamais plus pur exemple de dévouement, de modestie et de bravoure n’aura été proposé à un jeune aventurier comme moi qui a encore tout à apprendre…

— Sauf l’esprit ! dit le prince de Condé.

— Et le courage ! ajouta le roi. Chevalier, vous êtes un hardi compère et vous me plaisez étrangement. Quant à mon vieux d’Andelot, si vous le croyez bon pour vous être donné en exemple, il l’a été déjà pour nous, n’est-ce pas cousin ?

— Sire ! murmura le soldat.

— Je sais ce que je dis ; et ce n’est pas ma faute s’il n’est pas maréchal ; mais je lui donnerai l’épée dorée de connétable.

— Oh ! Sire !… vous me confondez ! fit d’Andelot, rouge de plaisir.

Et comme Pardaillan était la cause directe de ces belles paroles que venait de prononcer le roi, il en résulta que le vieux soldat tout ému serra à la broyer la main du chevalier et lui glissa à l’oreille :

— Jeune homme, je suis à vous, à la vie à la mort…

— C’est bien, reprit le Béarnais, je te dis que tu seras connétable, comme mon cousin de Condé sera lieutenant général, comme mon vénéré père, l’amiral, sera grand-maître de mon Conseil, comme Téligny sera adjudant général de ma cavalerie, comme Marillac sera le premier de mes gentilshommes du palais… Ventre-saint-gris ! Je veux que tant de dévouement reçoive sa récompense, un jour ou l’autre… je ne veux voir que des yeux riants autour de moi, et des visages larges d’une aune… patience, patience… Après la pluie, le beau temps, sandis ! Laissez-moi grandir, et vous verrez ! En attendant, empochez toujours ça.

Ça, c’était les promesses que le Béarnais venait de distribuer avec une si magnifique libéralité, et surtout avec une si belle humeur et un accent d’astuce gasconne si plaisamment exagérée que tout le monde éclata de rire.

— À la bonne heure ! s’écria Henri de Navarre ; voilà des figures comme je les aime !… Monsieur le chevalier, que diriez-vous d’un royaume où tout le monde rirait ainsi ?

— Je dirais, Sire, que ce royaume aurait le bonheur de posséder un roi de génie.

— Bravo, fit Henri, mais ce n’est peut-être pas tant de génie qu’il faut pour rendre les gens heureux. Un jour, dans mes montagnes du Béarn, je m’en revenais, les chausses déchirées, le pourpoint en lambeaux, tant j’avais fourragé à travers les ronces ; je m’étais égaré ; j’avais peur, en rentrant, de recevoir la fessée ; j’avais faim, j’avais soif ; bref, j’étais aussi malheureux que possible, lorsque j’avisai une cabane de bûcheron d’où sortait une chanson si joyeuse que je me dis aussitôt : Là doit demeurer un brave homme. En effet, le bûcheron me fit boire à sa gourde d’une certaine piquette dont je me lèche encore les lèvres quand j’y pense ; il me fit manger des pommes et des poires tapées qu’il conservait pour l’hiver ; et quand je fus rassasié, il me remit sur mon chemin.