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Page:Lectures romanesques, No 126, 1907.djvu/11

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je ne craindrais pas de traverser une armée.

Pardaillan reçut sans faiblir le compliment. Seulement, il poussa un soupir et murmura :

— Quel dommage que je ne puisse plus quitter Paris !… C’est bien fait ! Monsieur mon père me l’avait bien dit… Méfie-toi des femmes !… Il est bien temps, par Pilate et Barabbas !… Me voilà ficelé par les cheveux d’or de ma voisine… les fameux serpents qui enlacent et étouffent !… Et dire, ajouta-t-il, en jetant un piteux regard sur son pourpoint en lambeaux, dire que j’étais sorti pour me conquérir un costume de prince !… Il va me falloir manier l’aiguille toute la nuit, après avoir manié l’épée tout le jour !… Bon ! la différence est-elle si grande ?…

Tout en monologuant, le chevalier suivait à dix pas, l’œil au guet, la main à la garde de l’épée, les deux femmes qui, rapidement, s’enfoncèrent dans Paris.

Le soir commençait à tomber.

Pardaillan qui, dans sa hâte à suivre la mère de Loïse, était parti sans déjeuner, commençait à ressentir de furieux tiraillements d’estomac.

Après d’innombrables détours, Jeanne d’Albret et sa compagne arrivèrent enfin au Temple.

En face de la sombre prison dont la grande tour noircie par le temps dominait le quartier, comme une menace, une maison d’apparence bourgeoise s’élevait d’un étage.

Sur un geste de la Reine, Alice de Lux heurta à la porte.

Presque aussitôt on ouvrit.

Jeanne d’Albret fit signe à Pardaillan de se rapprocher.

— Monsieur, dit-elle, vous avez maintenant le droit de connaître mes affaires. Entrez donc, je vous prie.

— Madame, dit Pardaillan, Votre Majesté s’abuse : je n’ai qu’un droit, celui de me tenir à ses ordres.

— Vous êtes un charmant cavalier. Apprenez donc que la présence d’un homme — et d’un homme tel que vous ! — ne me sera pas inutile dans cette maison.

— En ce cas, j’obéis, madame, fit Pardaillan qui en lui-même songea :

« En ce moment, les poulardes de maître Landry doivent être à point. Que ne puis-je me mettre à leurs ordres !… »

La porte, cependant, s’était refermée. Les trois visiteurs furent conduits par un domestique, sorte de géant femelle, jusqu’à une pièce étroite, mal meublée, mais assez propre.

Là, un vieillard à nez recourbé, à longue barbe biblique, était assis à une table sur laquelle se trouvaient trois balances de différent calibre. Cet homme jeta un regard perçant sur Jeanne d’Albret, et un imperceptible sourire effleura ses lèvres.

— Ah ! ah ! fit-il avec une cordialité exagérée, c’est encore vous madame… madame… comment donc, déjà ? C’est qu’il y a trois ans que je ne vous ai vue… mais votre nom est inscrit là, dans mon coffre…

— Madame Leroux, dit la reine sèchement.

— C’est bien cela ! J’allais le dire ! Et vous avez encore quelque collier de perles, quelque agrafe de diamant à vendre à ce bon Isaac Ruben ?

Il va sans dire que le vieillard prononçait Rupen pour Ruben, matame pour madame, acrave pour agrafe et gollier pour collier. Nous nous en remettons au lecteur que diverses littératures ont habitué à cet exercice, du soin de rétablir la prononciation du juif.

Nous prierons notre lecteur de se souvenir que la reine de Navarre, au moment où elle avait sauté de la litière, tenait à la main un sac de cuir. Et s’il l’a oublié, nous le lui rappelons.

Ce sac, Jeanne d’Albret le déposa sur la table, l’ouvrit, et en versa le contenu, pêle-mêle.

Les yeux d’Isaac Ruben pétillèrent. Il allongea les mains sur les diamants, les rubis, les émeraudes, les pierres précieuses qui chatoyaient sur la table et croisaient leurs feux. Ses doigts, un instant, les caressèrent. Le marchand d’or était poète à sa façon, et toute cette splendeur étalée sur la table en pauvre bois blanc, amena un mince sourire sur ses lèvres.

Quand à Pardaillan, il nous faut résister à la tentation de le montrer plus beau que nature, et confesser la vérité, dût cette vérité lui enlever une part notable de la sympathie du lecteur : devant cette fortune qui prenait la forme la plus somptueuse et la plus poétique de la fortune, devant ces flammes bleues, rouges et vertes qui semblaient fulgurer au fond d’un foyer magique, il ouvrit de grands yeux ébahis et il frissonna.

« Quand je pense, songea-t-il, que la moindre de ces pierres ferait de moi un homme riche ! »

Et par un jeu rapide de l’imagination, il se vit possesseur de ce trésor : il se vit paradant sous les fenêtres de la Dame en noir et de sa fille dans un flamboyant costume capable de faire étouffer d’envie les mignons les plus élégants du duc d’Anjou — le maître des élégances fastueuses !

Puis, venant à ramener son regard sur lui-