Page:Lefèvre-Deumier - Poésies, 1844.djvu/110

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Et le temps l’embellit, chaque f’ois qu’il la blesse :
Ce n’est pas là vieillir, c’est changer de jeunesse.

Je ne sais quels soucis me réserve le sort :
Au bout de quels chagrins je dois trouver un port ;
Maisquelsquesoientlesmaux, que ma crainte envisage.
Dont mes pressentiments sont peut-être un présage,
Leurs traits perdront pour moi leur fiévreuse âcreté,
Tant que, gardant des champs le culte respecté,
Mes yeux y sentiront, pour mieux voir la nature,
Quelque rayon de Dieu monter de leur verdure.
Si, sans être un Milton, traité comme ce roi,
Les brouillards du chaos refluaient jusqu’à moi,
Et que ce voile obscur tombât sur ma paupière,
Sous le ciel enfumé de nos mondes de pierre,
Peut-être à ce malheur que je pardonnerais.
Rien ne blessant mes yeux, je m’accoutumerais
A ne plus m’enivrer de tout ce qui m’enivre,
Et dans la nuit des morts je saurais encor vivre.
Mais d’être aveugle, hélas ! comment se consoler,
Quand, sous de frais abris heureux de s’écouler,
Nos jours ne doivent pas, loin des rives natales,
Aller salir leur cours aux quais des capitales ?
Comment, d’un cœur soumis, sentir la cécité
Mettre en nous l’esprit même à la mendicité :
Et lui voler sa part de ces sites sublimes,
Que Dieu même arrangea, prévoyant trop nos crimes,