Page:Lefèvre-Deumier - Poésies, 1844.djvu/387

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Ces humides parfums qui montent des roseaux,
Et jettent sur nos sens d’invisibles réseaux :
Ces roehers cotonneux, ces nappes de nuages,
Qui peuplent de l’éther l’Océan sans rivages,
Et semblent, répétés par le fleuve en repos,
Des îles de vapeurs, qui marchent sous les flots ?
Plantés entre deux ciels sur le penchant des berges,
Voyez nos peupliers, inclinant leurs grands cierges,
Aux étoiles dans l’onde entr’ouvrir leurs rameaux,
Les porter comme un fruit : et l’ombre des oiseaux,
Fendant d’un vol nageur l’ombre de la verdure,
De sa liquide image agiter la peinture.
Par pitié, Maria, pour ces riants tableaux,
N’y laissez pas courir le deuil de mes pinceaux.
Vous dont l’esprit aisé, dont la grâce légère,
Prête à tout ce qui passe une vie étrangère,
Jetez, sur ce spectacle, un coloris d’espoir :
Car j’y vois à demi ce que j’ai peur d’y voir.
Le chagrin trop souvent, dérangeant la nature,
De nos cœurs qu’il flétrit fait un miroir parjure :
Fidèle à tout saisir, et cependant faussé,
Tout s’y retrace encor, mais tout est renversé.
Un jour… oh ! dissipez, voilez-moi cet augure :
Que l’avenir par vous, pour moi, se transfigure !
Je ne veux pas pleurer : il faut si peu de pleurs,
Pour troubler, dans ces eaux, le portrait de nos fleurs !