Page:Lefèvre-Deumier - Poésies, 1844.djvu/569

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Et qui ne réfléchit souvent, dans ses peintures,
Que les traits incertains des délices futures :
Ici le fantastique a les traits du réel.
Ce n’est plus l’avenir qui fait les frais du ciel,
Et déroule aux regards son chatoyant mensonge :
C’est, au lieu de l’espoir, la mémoire qui songe.
I I semble que l’esprit soit libre d’explorer
Ce monde des miroirs, où l’œil seul peut entrer,
Impossible Hespérie, inabordable zone,
Où chacun se voit vivre, où n’existe personne.
Notre savoir, aidé du cristal souverain,
Qui fait à l’invisible atteindre l’œil humain,
Sur un brin de fraisier découvre une Amérique,
Et d’un peuple inconnu parcourt la république :
Que de mondes aussi, par l’âme découverts !
Un seul grain d’opium renferme un univers,
Un de ces univers, qu’entrevoit l’astrolabe,
Ou qu’avec ses fils d’or brode l’aiguille arabe.
Voyez-le dérouler, dans ses champs assoupis,
Ses murs de chrysolithe et ses tours de rubis,
Ses jardins florencés de perles odorantes,
Ses fontaines de naphte et de flammes courantes,
Et ses arbres vivants, d’arc-en-ciel pavoisés,
Où des saphyrs chanteurs sautillent embrasés !
Vous qui souffrez, mouillez vos lèvres de népenthe :
Un fleuve de vapeurs dans les veines serpente,
L’œil se ferme à la terre, et le front désolé,
Des dards de son bandeau refleurit étoilé.