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Mais comment nous arrêter à cette première constatation ? N’en apercevons-nous pas une autre, plus importante encore, qui s’impose à notre réflexion ? On a lu le récit qui vient d’être reproduit : l’auteur des œuvres shakespeariennes en a connu la substance, soit par une transmission orale, soit par un texte manuscrit des Mémoires. Cette aventure avait frappé son imagination, et il en usa, cette fois d’une façon plus explicite, dans la pièce qui peut être considérée comme le chef-d’œuvre par excellence de son théâtre : Hamlet. L’idée première de l’épisode, admirable entre tous, d’Ophélie et, en particulier, celle de la scène si caractéristique et si poignante de ses obsèques dérivent, on n’en saurait douter après tout ce qui a été exposé plus haut, du drame d’amour qui amena la mort d’Hélène de Tournon. Qu’on relise seulement avec soin l’histoire réelle et ensuite l’épisode dramatique, dans les deux rédactions successives d’Hamlet, et la certitude du rapport qui unit l’une à l’autre s’imposera aussitôt à l’esprit.

Des deux côtés, un grand seigneur aime une jeune fille de haute naissance, douée d’une grande sensibilité et qui fait partie de la cour d’une reine : tendresse mutuelle ; un obstacle soudain se dresse, amené ici par la résistance de la famille de l’aimé, désireuse de voir l’amoureux entrer dans les ordres, d’où résulte l’opposition violente de la mère d’Hélène, — et là, par l’opposition que manifeste le père d’Ophélie à l’amour d’Hamlet (a. II, s. 2).

« Mais non, — expose Polonius à la reine, — Je suis entré rondement en matière et j’ai parlé ainsi à ma jeune Demoiselle : « Le seigneur Hamlet est un prince hors de ta sphère ; cela ne doit pas être »,

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