Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/114

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n’osez pas prendre et manger une côtelette avec vos doigts ? »

M. Andrieux, comme je l’ai dit, joignait au titre de secrétaire perpétuel de l’Académie, celui de professeur. Il faisait au Collège de France, tous les mercredis, à midi, un cours de morale. Rien de plus singulier que ce cours. Il ne s’asseyait pas dans sa chaire, il s’y promenait, il s’y démenait. Le jour où j’y allai, il arriva un peu en retard, et nous conta comme quoi la faute en était à sa gouvernante. Elle avait laissé monter le lait de son café, et elle avait mis un quart d’heure à aller en chercher d’autre. Là-dessus, le voilà qui se lance dans mille détails d’intérieur, de ménage, de cuisine, d’armoires à linge, le tout mêlé à la peinture des vertus domestiques, à la façon des Économiques de Xénophon. Il nous entretint longtemps de sa chatte, et, à propos de sa chatte, d’Aristote, et, à propos d’Aristote, de l’histoire naturelle. Les faits amenaient les réflexions, les réflexions se liaient aux récits, et les récits étaient délicieux. Je croyais voir revivre, je croyais entendre ce charmant petit abbé Galiani, dont Diderot nous conte tant de merveilles ! Comme l’abbé, Andrieux mettait tous ses contes en scène ; comme l’abbé, il jouait tous ses personnages ; comme l’abbé, il mêlait les mines les plus comiques aux mots les plus plaisants ; comme l’abbé, enfin, il s’amusait autant que les autres, plus que les autres, de tout ce qu’il racontait. Le jour où je l’entendis, il nous parla, je ne sais à propos de quoi, de ce monarque d’Orient, usé, blasé, malade, à qui ses médecins avaient ordonné, comme remède, d’endosser