Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/135

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déclaration de la guerre d’Italie. M. de Laprade, élu à la fin de 1858, avait été reçu le 7 mars 1859. Le secrétaire perpétuel demanda, selon l’usage, audience à l’empereur pour lui présenter le nouvel académicien, qui devait offrir au souverain son discours enveloppé et relié dans une belle feuille de papier d’or. L’audience est accordée pour onze heures, et nous voilà partis tous les quatre, dans le grand carrosse académique, M. Flourens directeur, moi chancelier, M Villemain secrétaire perpétuel et Laprade avec son beau discours. On nous introduit dans un salon d’attente, en nous disant que l’empereur va nous recevoir. Un quart d’heure se passe, pas d’empereur. Une demi-heure, pas d’empereur. Trois quarts d’heure, pas d’empereur. Villemain, furieux, se promenait à grands pas dans le salon avec mille invectives, et voulait à toute force s’en aller. M. Flourens, qui avait préparé un petit compliment où il avait adroitement glissé une petite requête, faisait tous ses efforts pour le contenir et le retenir. Laprade se taisait, et quant à moi, quoique mes sentiments fussent de tous points ceux de Villemain, je me joignais à M. Flourens, moins, je l’avoue, par respect pour la dignité du maître que par esprit de curiosité. L’empereur, au dire même de ses ennemis, était un parfait gentleman ; il avait, assurait-on, la prétention et le droit de compter comme un des hommes les mieux élevés de son empire. Je me creusais donc la cervelle à chercher le pourquoi de cette impolitesse gratuite faite à un des premiers corps de l’État, quand enfin la porte s’ouvrit, et le souverain vint à nous, en se balançant,