Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/148

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Talma s’endormirait-il ? Cette préoccupation nous fait sourire aujourd’hui, mais alors la question était grave. S’endormira-t-il sur un fauteuil ? Plus d’effet. Sur un lit de repos ? Mais il faut se coucher, sur un lit ! Comment oser se coucher devant le public ? Qu’un acteur parle assis, marchant… soit ! mais couché !… songez donc, couché !… C’est manquer de respect aux spectateurs. Talma était dans de grandes transes. Heureusement il n’était pas homme à lâcher un effet. Il fait donc bravement installer un lit de repos dans le décor, et, arrivé à la terrible scène, il commence par s’asseoir négligemment, comme sans y penser, sur le bord du lit… Puis, il récite les premiers vers, ses deux bras appuyés sur ses deux genoux réunis, puis, tout en continuant la tirade, il relève les bras, et écarte une de ses jambes ; puis il la rapproche du lit de repos, puis il la pose à moitié sur le bord ; puis, toujours parlant, il l’étend tout à fait ; puis l’autre va la rejoindre ; puis le corps se penche en arrière ; puis la tête se pose sur l’oreiller, et voila Sylla endormi, sans que le public se fût aperçu qu’il s’était couché ! Comme dans ce temps-là il fallait être adroit pour être hardi ! Je ne puis me décider à quitter cette pièce, sans rappeler encore un trait du jeu de Talma. Il y a, au troisième acte, une fort belle scène, où pénètrent dans le palais, jusqu’au dictateur entouré de ses courtisans, les cris d’une foule qu’on égorge. Là-dessus, un homme du peuple entre violemment, et, allant droit à Sylla :

 
Combien en proscris-tu Sylla ?
Je ne sais pas !