Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/166

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Il osait y défendre Victor Hugo, il osait y mettre l’Iphigénie d’Euripide au-dessus de celle de Racine, il osait même y parler de Dieu. A ce moment, le bon nombre de libéraux classiques étaient athées : entendons-nous ! non pas de cet athéisme dogmatique, démocratique, pédant, qui a créé l’intolérance de l’incrédulité, qui brûlerait volontiers les gens qui vont à la messe comme on brûlait autrefois ceux qui n’y allaient pas, et qui faisait dire au farouche Mallefille : « Ne me parlez pas de Dieu !c’est le despote du ciel ! » Non, l’athéisme des libéraux de la Restauration avait quelque chose de la légèreté du dix-huitième siècle ; il était spirituel, rieur, bon enfant. Je me rappelle encore Lemercier répondant à quelqu’un qui lui parlait de l’âme : « Oh ! oui ! l’âme ! l’âme qui s’envole du corps quand nous mourons ! Vous me faites l’effet des enfants qui, voyant tomber une montre par terre, et remarquant qu’elle ne marche plus,… disent tout contrits : Oh !la petite bête est morte ! «  Or, c’est dans ce monde sceptique, à un des dîners du jeudi de M. de Jouy, que Béranger, supplié de chanter quelque chanson nouvelle, commença bravement le Dieu des bonnes gens. A ce premier vers :


Il est un Dieu, devant lui je m’incline !


ce fut un soubresaut général, à peu près comme chez Mme d’Épinay le jour où Jean-Jacques Rousseau, se levant au milieu des sarcasmes fort impies de d’Holbach et de Diderot, dit tout haut : « Eh bien, moi, messieurs, je crois en Dieu ! «  Béranger, dans cette tentative,