Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/169

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considérables de ce temps-là, Manuel, Benjamin Constant, Laffitte, Thiers, ne faisaient rien sans consulter Béranger. A la révolution de Juillet, M. de Talleyrand témoigna le désir de s’entendre avec Béranger. Mais ils étaient vis-à-vis l’un de l’autre à l’état de puissances ; ils ressemblaient aux souverains que leur dignité empêche de se rendre visite. Béranger ne voulait pas aller à l’hôtel de la rue Saint-Florentin, où s’était faite la Restauration. M de Talleyrand ne pouvait pas monter au cinquième étage de Béranger. Ils se contentèrent de causer par intermédiaires. Ils échangèrent des notes diplomatiques.

Plus tard, Béranger eut pour amis trois des plus grands esprits du dix-neuvième siècle, Chateaubriand, Lamartine et Lamennais. Il connaissait et reconnaissait leur supériorité de génie, et cependant tous trois ont subi son ascendant ; tous trois l’ont pris, dans les circonstances les plus délicates de leur vie, pour confident, pour conseiller, pour arbitre, pour intermédiaire. C’est à lui que Lamartine venait confier ses rêves de spéculations financières, Chateaubriand, ses éternelles doléances d’homme gêné, Lamennais, ses troubles de conscience. Que de journées n’a-t-il pas employées pour voir clair et pour porter le jour dans les affaires de Lamartine ! Quand à Chateaubriand, il disait plaisamment de lui : « Que voulez-vous ! le pauvre homme ! ce n’est pas sa faute ! il n’a jamais pu se passer d’un valet de chambre pour mettre sa culotte ! » Pour Lamennais, il a lutté de toutes ses forces pour l’empêchez de jeter là sa soutane. « Restez prêtre ! » lui répétait-il