Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/177

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op éclairé pour ne pas prendre d’une chose ce qu’elle peut avoir de bon.

J’ai déjà bien usé de la permission que vous m’avez donnée, monsieur, j’en vais peut-être abuser.

Le titre de votre recueil, qui annonce de la recherche dans le choix des sujets, m’a inspiré une sorte de défiance sur les sujets eux-mêmes. Que deux de ces sujets se soient par hasard offerts à votre esprit, je le puis croire ; mais alors il est vraisemblable que vous avez cherché le troisième et le suivant ; le vrai poète, et vous l’êtes, monsieur, doit-il procéder ainsi sans y être forcé ? La pensée du poète est comme la fleur femelle ; elle attend la poussière fécondante que le mâle lance dans l’air et confie aux vents. Un sujet cherché sera rarement exécuté d’inspiration.

Je m’arrête ici, un peu honteux, en me relisant, du rôle que peut-être vous m’avez préparé avec malice. Faire faire le métier de pédagogue à un chansonnier, devenu vieux, est un assez plaisant tour. J’en ris en y pensant.

Toutefois, je n’en traiterai pas moins le second point de mon sermon.

J’ai trouvé, monsieur, de fort beaux passages dans la Mort de Charles-Quint. Le drame m’a paru aussi complet que le cadre a pu le permettre.

Je préfère pourtant encore Phalère, qui repose sur une pensée forte et vraie, rendue avec un grand bonheur. La Mort de Clarence me semble de beaucoup inférieure aux deux précédents morceaux.

Quant à Pompéï, quelques passages m’ont produit un mauvais effet, entre autres celui de la Lapille, mais d’autres m’ont semblé rendus avec une sorte de supériorité (particulièrement celui de l’Esclave et celui des deux derniers amants), qui m’a fait excuser ce que, selon moi, ce poème pris dans son ensemble, peut avoir de peu satisfaisant.

Si je dois résumer ma pensée, monsieur, je vous dirai bien franchement qu’il y a dans tout ce volume la preuve d’un talent très réel, d’un talent d’inspiration, mais qui manque encore de direction. Vous semblez ne vous être pas demandé jusqu’à présent à quoi vous pourriez employer les dons heureux que la nature vous a faits. Et en attendant qu’à cet égard votre vocation le révèle, vous préludez sur une lyre dont vous devez déjà reconnaître toute la valeur.