Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/187

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Puis, après quelques pas, un moment je m’arrête,
Regarde encor sa tombe et lui dis de la tête :
          Adieu, père… Hélas ! m’entend-il ?


Ces vers, quand je les relis, me paraissent empreints d’un caractère réel de tendresse, de regret, de respect. Je les sens vrais. Qu’on juge donc quelle fut ma douleur quand je vis cette chère mémoire attaquée, niée, raillée ! Nous étions en 1831, au plus fort de la grande bataille romantique. La littérature de l’Empire, les littérateurs de l’Empire étaient l’objet d’une sorte de fureur. On ne parlait d’eux qu’avec une explosion de mépris. Or, cette littérature de l’Empire, c’était celle de mon père. Sa gloire à lui était liée à sa gloire à elle. L’attaquer elle, c’était l’attaquer lui. Tous les sarcasmes qui tombaient sur ses confrères d’alors, retombaient sur lui. Là où l’on écrivait avec colère Jouy, Arnault, Lemercier, je lisais, moi, Legouvé. Je le lisais, et parfois le nom y étais. La mort ne l’avait pas rayé des combattants, ni soustrait aux attaques : viser ses œuvres, n’était-ce pas viser sa mémoire ? Je tombai dans un chagrin profond. Je n’ouvrais pas un journal sans inquiétude. Je me rappelle qu’un jour on annonça une représentation de la Mort d’Abel, au bénéfice d’un acteur nommé Eric Bernard ; j’y courus. Le premier acte fut écouté avec une grande faveur ; j’avais le cœur plein de joie. Tout à coup, au baisser du rideau, part un coup de sifflet : je sortis tout éperdu de la loge, et, arrivé dans la rue, j’allai me cacher dans une petite et sombre allée de maison où j’éclatai en sanglots. Mes sanglots avaient tort. Ce coup de sifflet partait d’un machiniste