Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/19

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t’entendait mentir ! » Ces mots avaient une grande action sur moi. Je ne doute pas que ma foi profonde en autre vie ne parte de ce culte des morts, de cette présence des absents, que ma vieille grand’mère avait si profondément empreinte en moi, et dont M. Fustel de Coulanges nous a donné une si émouvante peinture dans son beau livre de La Cité Antique.

Un dimanche, ma grand’mère m’emmena en visite chez un médecin de beaucoup d’esprit qui demeurait comme nous à Chaillot, M. Dandecy. En arrivant dans l’antichambre, nous fûmes frappés par de grands éclats de voix, qui partaient du salon. Nous entrons : debout, adossé à la cheminée, un vieillard, le visage souriant, la mine vaillante, ses longs cheveux blancs rejetés en arrière, paraissait tenir tête aux assistants qui ressemblaient à des assaillants ; c’était le docteur Gall. On attaquait vivement son système, qu’il défendait avec l’ardeur goguenard d’un homme qui aime la bataille. A peine ma grand’mère et moi sommes-nous entrés dans le salon, que M. Dandecy s’écrie : « Parbleu ! voilà une bonne occasion ! Nous allons vous mettre à l’épreuve, docteur ! » Puis se retournant vers moi et me montrant à lui : « Vous ne connaissez pas cet enfant, n’est-ce pas ? ― Non ! je ne l’ai jamais vu. ― Eh bien, examinez sa tête, et tirez-nous son horoscope. » Le docteur Gall s’assied, m’appelle, me prend entre ses jambes, me palpe le crâne, et s’adressant à ma grand’mère : « Cet enfant est à vous, madame ? ― Oui, monsieur, c’est mon petit-fils, il est orphelin, et c’est moi qui l’élève. ― Eh bien, madame, que comptez-vous