Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/190

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uniquement sur un engouement justement passager, ou repose-t-elle sur des qualités sérieuses et durables ? » Il n’y avait qu’un moyen de répondre à cette question, je l’adoptai résolument. Je pris les quatre principaux ouvrages de mon père et je les relus attentivement, lentement, froidement, comme j’aurais lu les ouvrages d’un autre. Je les relus à la clarté des idées nouvelles, mais aussi avec le souvenir des idées anciennes, tâchant de faire dans chaque école la part du vrai et la part du faux, cherchant dans ce contrôle simultané de toutes mes admirations, un principe supérieur qui me permit de les juger toutes, et de démêler dans une œuvre d’art la partie éphémère et la partie durable. Une telle étude était bien forte pour un jeune homme, mais j’étais soutenu par une passion profonde, et je sortis de cette épreuve, rassuré comme fils, éclairé comme artiste, convaincu enfin qu’il y avait dans ces quatre ouvrages de mon père des parties assez fortes pour qu’il eût été digne d’être admiré, et qu’il fût digne d’être lu.


II

Je commençai par le Mérite des femmes.

L’un des traits distinctifs des ouvrages vraiment supérieurs, c’est d’être tout à la fois de leur époque et en avance sur leur époque ; d’exprimer tout haut ce que tout le monde sent tout bas confusément, de dire ce que tout