Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/214

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Victor Hugo était tapissier ; cela le délassait d’être poète. Tour à tour, il ciselait une Orientale, ou agrémentait un baldaquin. On prétend même, qu’à la mort de sa fille, incapable de travail, rebelle à toutes consolations, il ne trouva qu’un seul moyen de tromper quelque peu sa douleur, ce fut de remeubler son appartement. Saint-Marc Girardin était menuisier. Quand il était fatigué d’avoir travaillé dans sa bibliothèque, il travaillait à sa bibliothèque même ; il posait des rayons, il rabotait des planches ; le plaisir de la lecture épuisé, il s’occupait encore de ses livres, il les logeait.

Les goûts ont cet avantage considérable qu’il en existe pour tous les âges, comme pour toutes les positions. M. de Talleyrand disait un jour à M. Villemain, avec ce sérieux comique dont il avait le secret : « Monsieur Villemain, vous n’aimez pas le whist !Vous serez malheureux dans votre vieillesse, et vous l’aurez mérité ! » Ce mot plaisant est un mot profond. La vieillesse éteint les passions, suspend les occupations, coupe court aux ambitions, et vous livre en proie à ce terrible ennemi qu’on appelle le repos, et qui en réalité se nomme l’ennui. Qui peut seul le combattre ? Les goûts. Croirait-on que parfois les goûts s’élèvent jusqu’au rang de consolateurs ? Croirait-on qu’un des hommes les plus illustres de ce siècle, un grand chimiste, frappé en pleine jeunesse par un profond chagrin d’amour, chercha et trouva un allégement à sa peine, dans le plus humble, le plus dédaigné, le plus ridiculisé des goûts, la pêche à la ligne ! Oui ! Humphry Davy, l’inventeur de la lampe des mineurs, éperdument