Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/221

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services pour quelques fournitures, et je les avais à peu près acceptés. L’assaut fini, je vais au maître de la maison, et lui dis : « Je n’achèterai pas de vins de Champagne à ce monsieur-là. ― Pourquoi ? ― Son vin doit être frelaté… il nie tous les coups ! »

Appliquez mon principe, et vous vous en trouverez bien. Quand vous aurez un jour des filles à marier, et qu’il se présentera un prétendu, ne perdez pas votre temps à prendre des informations trop souvent menteuses, et dites simplement au prétendu : ― « Voulez-vous faire une botte ? » Au bout d’un quart d’heure vous en saurez plus sur son caractère qu’après six semaines d’investigations.

Enfin, j’aime l’escrime parce qu’elle ne s’apprend pas ; le travail, un grand travail y est nécessaire, mais il n’y suffit pas, il y faut la vocation : on naît tireur comme on naît artiste. Aussi, le noviciat une fois achevé, que de plaisir ! Je doute qu’il y ait un seul acte de la vie extérieure où l’homme se sente vivre plus pleinement que dans un assaut vigoureux.

Voyez le tireur en action ! Chaque membre, chaque muscle est tendu, et chacun dans une attitude et pour une fonction différentes. Pendant que la main voltige rapide, légère, et allant toujours de l’avant, le corps se retient en arrière, et les jambes, vigoureusement contractées comme un ressort, attendent, pour partir, que le bras, en s’élançant, leur ait donné le signal. Tous les membres sont là, comme autant de soldats obéissants, à qui le général dit : « Marchez !… arrêtez-vous !… courez ! » Le général, c’est la tête ; la tête qui, à la fois