Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/244

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douleur. Un monde nouveau s’était ouvert devant moi, le monde de la grande musique dramatique. Les représentations de la Semiramide, de la Gazza ladra, de Tancrède, continuèrent mon éducation ; le génie de Rossini et le talent de la Malibran m’avaient servi de maîtres.

Je fis bientôt un pas de plus dans cet art, et ce fut encore la Malibran qui me le fit faire. Mon tuteur étant lié avec sa famille, je lui avais été présenté, et je fis bientôt partie des cavalcades d’amis qui l’accompagnaient dans ses promenades à cheval. Un jour, à Saint-Cloud où nous déjeunions, impatienté de la longueur du service, je m’écriai :

« Garçon, des assiettes ! »

Elle se retourne et me dit :

« Tiens ! vous avez un baryton.

— Qu’est-ce que ça, un baryton ?

— Une jolie espèce de voix. La vôtre est bonne, vous avez lancé sur le mot assiettes une note très vibrante ; prenez donc un maître. »

J’en pris deux : un maître de solfège et un maître de chant, et c’est ainsi que j’entrai en communication directe avec les chefs-d’œuvre de la musique de théâtre, que je montai du rôle d’auditeur au rôle d’interprète, que ma passion devint une occupation et mon plaisir un travail, que je passai successivement d’Othello à Don Juan, de Fidelio à Iphigénie en Tauride, du Mariage secret à Freischütz, et qu’enfin je… Mais c’est trop parler de l’initié, parlons de l’initiatrice.