Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/248

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— Chantez. »

Arrivé au point d’orgue, Nourrit exécuta un trait d’un fort joli goût.

« C’est bien, faites-m’en un autre. »

Nourrit en fait un second.

« Faites-m’en un autre. »

Nourrit en fait un troisième.

« Faites-m’en un autre.

— Je suis à bout d’invention, répond Nourrit.

Après trois points d’orgue ! Un vrai chanteur doit en improviser dix, vingt ; s’il le veut, car il n’y a de vrai chanteur que le vrai musicien.

Tel fut le maître admirable, mais rude et rarement satisfait, de la Malibran.

Un jour Garcia, après une heure de travail, lui dit :

« Tu ne seras jamais qu’une choriste ! »

Redressant sa petite tête de quatorze ans :

« Cette choriste aura plus de talent que vous, » lui répondit-elle.

Deux ans plus tard, à New-York, il entre un matin dans sa chambre et lui dit de cette voix devant qui tout tremblait :

« Vous débuterez samedi, avec moi, dans Othello.

— Samedi ! mais c’est dans six jours !

— Je le sais bien.

— Six jours pour répéter un rôle comme celui de Desdemona, pour m’habituer à la scène !

— Pas d’objections ! Vous débuterez samedi et vous serez excellente, ou sinon, à la dernière scène…, quand je suis censé vous frapper d’un coup de poignard, je vous frapperai réellement ! »