Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/262

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Nos soirées à la Villa Medici se passaient dans des amusements toujours variés. Parfois Mlle L. Vernet prenait le tambour de basque et dansait le saltarello avec son père, qui semblait son frère. Tantôt Horace allait chercher l’œuvre gravé du Poussin (le Poussin était son maître préféré) et nous expliquait le sens, le secret de ses compositions, toujours si profondes de pensée. Rien de plus curieux que de voir ce puissant génie interprété par cet actif esprit. La perçante et agile imagination d’Horace, explorait dans tous ses recoins l’œuvre austère du maître, à la façon des écureuils courant à travers les ramures noueuses d’un grand chêne, et s’y logeant dans mille abris mystérieux. Un jour, nous examinions la gravure du tableau représentant Jésus-Christ guérissant les aveugles.

« ― Qu’est-ce qui vous frappe le plus dans ce chef-d’œuvre ? me dit-il.

« ― La figure du Christ.

« ― Sans doute, elle est admirable de noblesse émue ; mais après ?

« ― Les expressions des diverses têtes.

« ― Sans doute, elles sont toutes vraies, touchantes ; mais après ?

« ― L’ordonnance du tableau, le groupement des personnages, leurs attitudes.

« ― Sans doute, toutes les parties de l’ensemble se fondent en une merveilleuse beauté de lignes, et j’ajoute encore que la figure, les bras, les mains du second aveugle, ardemment tendues vers le Christ, ont une puissance d’émotion que nul autre artiste