Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/263

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n’a dépassée ; et pourtant, là n’est pas encore le trait caractéristique du tableau.

« ― Où donc est-il ?

« ― Ici, me dit-il en me désignant du doigt les marches d’une maison figurée dans un coin de la toile.

« ― Sur ces marches ?

« ― Oui, sur ces marches… Ne voyez-vous pas, jeté en travers des degrés, un bâton ?

« ― Oui. Eh bien ?

« ― Eh bien ! ce bâton est celui de l’aveugle qui était assis un moment auparavant devant cette maison. Mais, à peine l’arrivée du Christ annoncée, il s’est senti si transporté d’espoir, si sûr de sa guérison, qu’il a jeté là son bâton comme désormais inutile, et a couru vers le Sauveur comme s’il était déjà sauvé ! Quelle image saisissante de la foi ! Si Le Poussin a voulu, comme je le crois, représenter dans ce tableau la confiance du monde en la toute-puissance du Christ, sa pensée n’est-elle pas tout entière dans ce bâton ? »

Parfois, à ces causeries sur l’art, succédaient des concerts improvisés. Quelle fut donc ma surprise et ma joie, en arrivant un soir à la Villa Medici, d’y trouver, qui ? La Malibran. Je vois encore le petit tableau d’intérieur qui s’offrit alors à moi. La Malibran était assise à côté de la table et travaillait. En face d’elle, tout près d’elle, plus bas qu’elle, presque à ses genoux, Mlle L. Vernet, placée sur un petit pouf en tapisserie, l’écoutait les yeux levés. La lampe projetait sa lumière