Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/302

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tout rayonnant de joie et tout tremblant de repentir, cet être étrange qu’elle avait vu partir, la veille, furieux et désolé.


IV

Si j’ai raconté cette scène de jeunesse, ce n’est pas seulement pour le seul plaisir de rappeler un souvenir qui me touche, c’est surtout parce qu’elle représente au vif le Berlioz ressemblant, que je voudrais peindre ; c’est qu’en écrivant ces lignes, il me semble voir encore cette créature, pathétique, excessive, ingénue, violente, insensée, sensible, mais avant tout, sincère. On a dit qu’il posait. Mais poser, c’est cacher ce qui est et montrer ce qui n’est pas, c’est feindre, c’est calculer, c’est être maître de soi ! Et où aurait-il trouvé la force de jouer un tel rôle, cet être qui vivait à la merci de ses nerfs, qui était l’esclave de toutes ses impressions, qui passait subitement d’un sentiment à un autre, qui pâlissait, tressaillait, pleurait malgré lui, et ne pouvait pas plus commander à ses paroles qu’aux muscles de sa face ? Lui reprocher d’être poseur ! autant l’accuser, comme on l’a fait, d’être envieux ! Il était fort admirateur de ses œuvres, j’en conviens, mais il était aussi très enthousiaste des œuvres des autres. Qu’on relise ses admirables articles sur Beethoven, sur Weber, sur Mozart, et, pour ne pas laisser à l’envie le droit