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VII

Trois reproches principaux sont adressés à Berlioz. On l’accuse d’être, comme compositeur, trop savant, c’est-à-dire d’avoir plus d’habileté que d’inspiration, d’être trop descriptif, de chercher avant tout l’imitation des bruits naturels ; comme homme on lui reproche d’être égoïste, et comme critique, d’être méchant.

Une soirée de trois heures me convainquit qu’il n’était pas assez savant, que sa musique était avant tout psychologique, et que ce méchant était plein de cœur.

Voilà, on en conviendra, une soirée bien employée.

Sa Damnation de Faust venait d’être réduite pour le piano.

« J’arriverai chez vous demain, à huit heures, me dit-il un jour, avec ma partition et mon exécutant ; il n’a que douze ans, c’est un prodige qui deviendra un jour une merveille ; il s’appelle Théodore Ritter. »

Le lendemain, à l’heure dite, Ritter était au piano. Berlioz se place à côté de lui, l’interrompant souvent ou le faisant recommencer pour m’expliquer l’intention de tel ou tel passage, le sens de tel ou tel mouvement, de telle ou telle note, et à mesure qu’il parlait, m’apparaissait clairement le double but qu’il a toujours poursuivi, les deux objets contradictoires qu’il s’est toujours proposés : la grandeur dans l’ensemble et la minutie