Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/320

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— Malade ? Oui, je le suis très gravement ! mes jours sont comptés ; mon médecin me l’a dit, il m’en a même dit le compte, ajouta-t-il avec un demi-sourire ; mais l’élection a bien lieu le 16. J’ai le temps. J’aurai même, ajouta-t-il avec ce mélange de raillerie qui lui était habituel, j’aurai même encore quelques jours pour me préparer. » Une semaine plus tard, l’élection avait lieu ; Berlioz s’y faisait porter, et quinze jours après, il était mort.

La pitié, chez lui, s’étendait même aux animaux, et arrivait jusqu’à la sensibilité. Je le vois encore un jour, pendant un dîner, où un des convives racontait en grand détail je ne sais quel exploit de chasse, cesser tout à coup de manger, détourner la tête, puis nous dire, tout tremblant… « C’est cruel ! C’est lâche ! Des hommes comme vous, parler gaiement d’oiseaux tombés tout sanglants sous le plomb, d’animaux blessés, et se débattant sur le sol, de créatures vivantes, qu’on achève à coups de crosse, ou à coups de talon… vous êtes des bourreaux ! »

En l’entendant, et en le voyant saisi d’une émotion si réelle, je ne pus me défendre de penser à ces deux vers charmants de La Fontaine :

 
Les animaux périr !
Baucis en répandit en secret quelques larmes.


J’ai bien de la peine à voir un méchant homme dans celui qui m’a fait penser à Baucis.

Reste le critique. Celui-là était rude, j’en conviens, parfois même amer et injuste. Je ne veux pas l’excuser,