Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/330

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Gounod venait d’être nommé membre de l’Institut ; Berlioz avait cordialement, chaudement, fraternellement travaillé à son élection. Encore une réponse à sa réputation d’égoïste. Gounod nous réunit à dîner chez lui pour fêter sa nomination. On se sépare à minuit. Berlioz, fatigué, avait peine à marcher ; je lui donne le bras pour remonter chez lui, rue de Calais, et nous voilà au milieu des rues désertes, recommençant une de ces promenades nocturnes, comme nous en avions tant fait dans notre jeunesse. Il était silencieux, marchait courbé, et, de temps en temps, tirait de sa poitrine quelqu’un de ces soupirs que je connaissais si bien. Je lui adressai mon éternelle question :

« Qu’y a-t-il encore ?

— Quelques lignes d’elle que j’ai reçues ce matin.

— Qui, elle ? la dame de Bade ou une autre ?

— Une autre, me répondit-il. Ah ! je vais vous paraître bien étrange. Vous rappelez-vous Estelle ?

— Qui, Estelle ?

— La jeune fille de Meylan.

— Celle que vous avez aimée à douze ans ?

— Oui, je l’ai revue il y a quelque temps, et en la revoyant… O mon ami ! comme Virgile a raison ! Quel cri parti du cœur que ce vers :


….Agnosco veteris vestigia flammæ.


Je reconnais les traces de mon ancienne flamme !

— Votre ancienne flamme ? Comment ?

— Oh ! c’est absurde ! c’est ridicule… je le sais bien !… Mais qu’importe ? il y a plus de choses dans